Hadopi (oui, encore), pour bien comprendre
vendredi 15 mai 2009 à 19:10
En quoi Internet serait-il différent du monde réel ? C'est bien l'argument massue utilisé par de nombreux détracteurs pour dire que la loi est pour tous, pour tous les média, y compris Internet.
Et je suis bien d'accord.
Mais dans ce cas, en quoi le monde réel devrait-il être différent d'Internet ? Ou comment ose-t-on mettre en place des lois sur Internet pour lesquelles personne n'oserait imaginer que l'on puisse n'en faire que la moitié dans le monde réel.
Ainsi beaucoup ont utilisé l'analogie d'Hadopi et d'une sanction du code de la route.
Imaginons.
Votre voisine, sympa et qui a un grand besoin d'aller se fournir chez un marchand de meuble suédois (scénario bien hypothétique, je l'admet) fait un excès de vitesse avec la voiture que vous lui avez prêtée. Vous recevez le beau courrier (si, si, il est beau, avec du vert et tout et tout) que vous lui transmettez (elle est sympa la voisine, mais faut pas pousser).
Une seconde fois, derechef, vous transférez (elle est jolie, mais va falloir qu'elle se calme).
Une troisième fois ? Et bien Hadopi vient vous confisquer les clés de votre voiture. Hadopi ce n'est pas la justice, c'est juste une "Haute Autorité" qui décide.
Oui, bien sûr, Hadopi prive ainsi toute la famille de la voiture à cause de la voisine. Bah, ce n'est que pour 3 mois (6 mois ? 1 an ???). Tant pis. Pour aller au boulot, les loisirs, les vacances ? Brossez vous ! Fallait pas prêter la voiture, et pis c'est tout. Prouver que c'est elle ? Impossible, photo prise de nuit, de dos, on ne voit que la plaque. Et c'est bien votre plaque, donc plus de voiture. Va falloir prouver que c'était bien la voisine, mais en attendant, plus de voiture.
Et ça, c'est dans l'hypothèse où vous savez qui vous a emprunté la voiture. Imaginez que la voisine vous la prenne en douce de nuit (oui, les magasins suédois sont nocturnes aussi, même le dimanche). Ou mieux, elle roule avec la voiture d'un autre voisin (le même modèle, la scénic, c'est fashion) mais avec vos plaques. Allez prouver que ce n'est pas vous. Bon courage.
Hadopi, c'est ça.
Demain, vous commettez une infraction, toute la famille est privée d'Internet. Tant pis si votre femme télétravaille et qu'elle perd son boulot, tant pis si les enfants doivent valider leur scolarité (dommage pour le b2i), la télé-déclaration des impôts, les emails avec le cousin Suisse, etc. Sommes toutes, on peut se passer d'Internet, tout comme on peut tous se passer de voiture.
N'est-ce pas ?
Aller, pour continuer sur ce billet déjà long mais tant pis, une autre analogie rédigée par Ed Felten, violateur de copyright avec son avatar, mais surtout directeur du CITP (Center for Information Technology Policy) à l’université de Princeton (New Jersey) un centre trans-disciplinaire pour l’étude des technologies numériques dans la vie publique.
Une modeste proposition : la riposte graduée pour l’écrit sur papier
Le Parlement Français a adopté hier une loi créant un système de riposte graduée en 3 étapes aboutissant à exclure de l’internet ceux qui sont accusés d’avoir commis ou laissé se commettre trois fois une violation du droit d’auteur.
Cette idée est si bonne qu’elle mérite d’être appliquée également à d’autres médias. Voici donc une modeste proposition d’extension de la riposte graduée aux écrits sur papier.
Le système proposé est la simplicité même. Le gouvernement mettra en place un registre des auteurs ou complices de contrefaçons. Chacun pourra adresser une plainte aux gestionnaires du registre, affirmant que quelqu’un viole leur droit d’auteur sur un texte écrit. Si le registre gouvernemental reçoit trois plaintes concernant la même personne ; cette personne sera bannie pendant un an de l’usage de l’écrit.
Comme dans le cas de l’internet, le bannissement s’appliquera à la fois à la lecture et à l’écriture, y compris celles qui sont de nature informelle : une personne bannie ne pourra plus rien écrire ou lire pendant un an.
Quelques opposants systématiques prétendront peut-être que le bannissement de l’écrit physique sera difficile à mettre en œuvre et que l’exclusion de toute communication écrite sur la base de simples accusations pose quelques problèmes mineurs en matière de procédure équitable et de liberté d’expression. Mais si ces questions ne nous arrêtent pas dans l’univers de l’internet, pourquoi devraient-elles bloquer notre proposition ?
Bien sûr, s’ils sont bannis de l’écrit, quelques élèves se trouveront dans l’impossibilité de faire leur travail scolaire, quelques adultes éprouveront certaines difficultés dans leur vie quotidienne et divers perturbateurs ne seront plus autorisés à participer au débat politique ou même à le suivre. Cela les fera peut-être réfléchir la prochaine fois qu’ils s’apprêteront à commettre ou à laisser se produire une contrefaçon du droit d’auteur.
En bref, la riposte graduée est une idée tout aussi bonne pour l’écrit sur papier que pour l’internet. Quel sera donc le premier pays à l’adopter ?
Lorsque la riposte graduée sera en place pour l’écrit sur papier, nous pourrons l’appliquer à d’autres médias en créant une riposte graduée pour les ondes sonores et pour les ondes lumineuses. Ces médias sont trop importants pour qu’on les laisse sans protection.
Par Ed W. Felten, le 13/05/2009. Traduction : Philippe Aigrain Licence du texte original : CC 3.0 Licence de la traduction : CC 2.0 (via Ecrans, via Koyot - merci)
La prochaine fois, on parlera du "logiciel Hadopi" qu'il faudra mettre en place pour prouver son innocence (avec en analogie, un gps couplé à une caméra audio/vidéo posé sur le crâne de chaque individu).
J'adore être gouverné par des personnes qui comprennent ce dont elles parlent !
un commentaire »
Suivez le fil des commentaires en vous abonnant à ce liennulbox
Le mercredi 27 mai 2009 à 01:13