Lecture : les âmes grises
samedi 24 janvier 2015 à 22:34
Je n'avais pas vraiment envie de m'y mettre. Les circonstances. Et puis je l'ai avalé en 3 jours. ''Les âmes grises' est un polar. Un polar qui ne dit pas son nom. Le crime est commis par la société. La victime, c'est l'humain.
En fait, la victime, la première, la plus fragile, la plus touchante, c'est Belle de Jour, une charmante enfant retrouvée morte au bord de la rivière, à peine 10 ans. À 10 ans, on est un enfant. Sauf en 1917... À 10 ans on travaille, et depuis longtemps.
Huit ans à l'époque, c'était pas comme huit ans de maintenant ! À huit ans, on savait tout faire, on avait du plomb dans la tête, et des bras solides. On était presque adulte.
En ce début de 20ème siècle, les hommes s'entretuent à quelques kilomètres de P., la petite bourgade si proche de V. qui n'ose dire son nom de tout le roman, mais tout le monde sait que Verdun est là. Verdun, ses tranchés, son million et plus de morts, ses gueules cassées. Ses veuves. Sauf à P. Dans ce bled là, ils ont une usine. De quoi, on ne le saura jamais, mais les gars de l'usine sont trop importants pour aller faire la guerre. Alors à P. tous ne meurt pas de la guerre, on meurt à 10 ans, étranglée un dimanche soir d'hiver, et ce meurtre là en vaut tellement d'autres.
Philippe Claudel nous entraine dès le départ avec son personnage principal. De lui non plus on ne connaitra pas le nom, et sa profession, quoi que peu mystérieuse, n'est vraiment annoncée qu'au milieu du roman. Et Philippe Claudel nous régale de son verbe, de ses descriptions, de la justesse de ses mots. Et puis des digressions, plein, qui donnent de la vie et de la profondeur aux personnages, aux actes, aux décors. Il est bien difficile de donner une citation, il faudrait recopier le livre. Tentons le passage qui lui donne son titre.
- Moi non plus, lui dis-je, je n'ai plus son visage... Souvent je le cherche, j'ai l'impression qu'il vient vers moi, et puis il s'efface, il ne reste plus rien, alors je me tape, je m'engueule...
- Pourquoi donc, bêta ?
- Ne plus se souvenir du visage de celle qu'on aimait... Je suis un salaud.
Joséphine haussa les épaules :
- Les salauds, les saints, j'en ai jamais vu. Rien n'est ni tout noir, ni tout blanc, c'est le gris qui gagne. Les hommes et leurs âmes, c'est pareil... T'es une âme grise, joliment grise, comme nous tous...
- Des mots tout ça...
- Qu'est-ce qu'ils t'ont fait les mots ?
Les mots nous entrainent dans cette France en guerre, marquée au fer rouge par les inégalités sociales, la pauvreté, la misère et tellement de tristesse. Le procureur qui en a "encore réduit un aujourd'hui" en le condamnant, le juge qui méprise tout le monde, le colonel, son double minable, le maire pompeux, l'institutrice trop joyeuse, le toubib mort de faim, pour de vrai... La galerie de portraits est bien plus longue et tous ont leur histoire, leur peu de joie et leur lot de misères. Même ce petit flic dont on se demande ce qu'il fait là, nous entraine dans sa vie, loin avec lui, dans son âme. Et jusqu'au bout, l'auteur nous fera flirter avec le bien et le mal. Tout dans le gris.
Il faut être clair, on ne ressort pas joyeux de cette lecture, mais d'une certaine façon instruit. Instruit sur son propre bonheur d'être. C'est moche de regarder les autres en pensant que l'on a de la chance. Mais finalement, ça fait un peu du bien.
Alors j'ai aussi L'enquête à lire, offert en même temps. Mais d'abord La petit fille de Monsieur Linh qui était déjà à la maison et qui a été écrit avant, et j'aime bien lire les auteurs "dans l'ordre" :-)
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